C’est un fait établi, quand un adulte se met en quête d’un diagnostic, on lui répond bien souvent par cette question : « Pour quoi faire ? »
Cette question m’énerve, je l’avoue. Demande-t-on à quelqu’un pourquoi il va chez le médecin pour savoir s’il a la grippe, ou si son enfant a la varicelle ? Trouvez-vous normal qu’au lieu de vous refiler une ordonnance sans prononcer un mot ledit docteur vous annonce que vous avez la grippe ou la varicelle ? J’imagine que oui.
Passons sur le fait que bien que n’étant pas une maladie, l’autisme se diagnostique, pour en venir au nœud du problème : quand on trouve que quelque chose cloche, on va chez un spécialiste pour savoir pourquoi. Un bruit bizarre dans le moteur, on file chez le garagiste. Un glou-glou étrange dans la chaudière, on s’adresse au chauffagiste. Une inquiétude sur le retard de langage du petit dernier, on fonce chez l’orthophoniste. Et tout le monde trouve ça normal. Parce que ça l’est.
Alors vraiment, vraiment, je ne conçois pas qu’on essaie de dissuader une personne qui a des difficultés parfois énormes, qui peuvent dans des cas graves l’amener vers une tentative de suicide, de chercher à comprendre pourquoi c’est si compliqué dans sa vie.
Personne ne devrait avoir à se battre, à argumenter contre sa famille, ses supérieurs, son médecin traitant ou son psy pour avoir le droit de savoir ce qui lui pose problème, ou quelle est la source de sa façon peu conventionnelle de fonctionner.
C’est déjà tellement compliqué de trouver une personne de confiance, qui soit réellement formée pour le diagnostic, qu’on n’a pas besoin, en plus, de bâtons dans les roues… Nous expliquer que maintenant qu’on est adulte, qu’on a une vie « normale », qu’on a un boulot, une famille, on n’a pas besoin d’un diagnostic, c’est injuste. Parce que nos difficultés sont moins visibles qu’un fauteuil roulant ou un appareil auditif, on n’aurait pas le droit de savoir ? Parce qu’on se bat au quotidien pour compenser nos difficultés, avec tout ce que cela suppose de fatigue et de frustrations, nous devrions nous taire gentiment et ne pas faire de vagues ?
Eh bien non. Chaque personne devrait avoir le droit sans se justifier de pouvoir accéder à un entretien constructif, et au moindre doute, le droit de passer les tests scientifiques qui permettent de poser un diagnostic.
J’ai dû répondre moi aussi à cette fameuse question : « Maintenant que tu sais, ça change quoi ? »
Concrètement, pour moi, pas grand chose dans l’immédiat. Je n’ai pas fait de demande de RQTH, puisque je ne travaille pas, je ne vais demander aucune compensation financière, aucun aménagement. Je ne fréquente pas de groupe d’habileté sociale, je ne vois pas régulièrement de psy pour l’instant (Je n’ai pas la possibilité pour le moment de voir régulièrement un psy spécialisé, mais peut-être que cela se fera un jour, et ce sera grâce au diagnostic).
Mais ce diagnostic a pourtant changé ma vie. De bien des façons.
D’abord, le diagnostic permet de « poser ses valises » après l’errance diagnostic, de savoir enfin qui on est, pourquoi on est comme ça, et de pouvoir s’autoriser à s’arrêter de chercher.
J’ai longtemps cru que j’étais simplement une dépressive chronique, et j’ai vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête pendant des années. Je voyais que j’allais mal régulièrement, sans trop savoir pourquoi, et j’attendais la dépression comme une ennemie dont on m’aurait promis le retour.
J’ai essayé de comprendre les mécanismes de la dépression. Je voyais bien que je ne collais pas spécialement avec le tableau, mais je voyais aussi que mon moral souffrait… sans savoir comment aller mieux durablement. Et pour cause, je ne savais pas comment prendre soin de moi, puisque je ne savais pas d’où venaient les difficultés !
Suite au diagnostic, j’ai pu commencer à me documenter sérieusement sur le syndrome, et commencer à comprendre mon fonctionnement. Soyons honnête, en bonne Asperger qui se respecte, j’avais déjà dévoré une grande quantité de publications avant le diagnostic, mais là, je pouvais vraiment me les approprier, piocher ce qui me convenait, trouver des astuces pour me ménager et améliorer mon quotidien.
C’est avec le diagnostic que je me suis autorisée à mettre en place des stratégies pour me faciliter la vie ou limiter les désagréments liés à mes particularités. Vous le savez peut-être, un autiste a une très haute opinion de ce qui est juste, et de ce qui est censé se faire ou pas. Avant de me savoir officiellement Asperger, je n’osais pas demander à mon entourage les aménagements qui pouvaient me soulager ou m’apporter un réel confort. Cela me semblait illégitime. Le diagnostic est mon passeport, mon laisser-passer pour prendre soin de moi.
Autre point important : le diagnostic permet aussi d’entrer en contact avec une communauté. Bien sûr, il existe des groupes ouverts et bienveillants que vous pouvez rejoindre si vous vous questionnez, et ces groupes sont une bénédiction (surtout dans notre pays qui est une calamité en matière d’accès au diagnostic !). Mais disons qu’une fois identifié comme autiste, vous faites totalement partie du groupe. C’est un peu comme le jugement d’adoption plénière : vous êtes un membre à part entière de la famille. A ce titre, vous avez le droit de vous y exprimer, de donner votre avis, de conseiller d’autres, avec un « poids » que vous n’avez pas en tant que personne en attente de diagnostic.

Autre gain non négligeable : le diagnostic permet de relire sa vie avec une grille de lecture nouvelle, comme si on chaussait enfin les bonnes lunettes. On se remémore pendant des mois (voire des années) certains épisodes, certains détails, qui étaient une énigme, et qui soudainement deviennent simplement des éléments que l’on peut analyser, comprendre, avec lesquels on peut faire la paix. On se pardonne une quantité de choses hallucinante quand on vit ce processus. Evidemment, ce n’est pas tout rose. Il y aussi un paquet de regrets qui viennent s’inviter, au son de la rengaine « si j’avais su… ». Mais globalement, une fois le choc passé, c’est un apaisement de trouver les réponses à toutes ces questions qui sont restées en suspens si longtemps.
Enfin, mon identité étant enfin entière et cohérente, le diagnostic me permet de me montrer un peu plus comme je suis, et de me présenter comme telle aux autres. Je ne parle là que des plus proches, bien entendu, mais c’est déjà un luxe pour moi. Pouvoir dire à mon mari pourquoi je ne supporte pas telle chose, et comment s’y prendre avec moi, pouvoir dire en toute simplicité à une amie que tel événement est trop fatigant pour moi, pouvoir expliquer à mes enfants certaines de mes réactions, c’est précieux.
Voilà ce que m’a apporté le diagnostic : la fin d’un voyage hasardeux, une identité cohérente, des réponses à de multiples questions, et la possibilité de me comprendre et de prendre soin de moi.
En résumé, ce diagnostic me permet de mieux être moi-même. Et ça change tout.

Merci pour ce témoignage. Je te rejoins totalement. Je pense utiliser ton article en soutien quand j’annoncerai mon diagnostic à ma famille et mes proches.
Merci, cela me touche beaucoup…
Bonjour,
J’ai adoré ce texte… Et j’aimerais tellement vivre ce que vous vivez !
J’en ai marre d’être différente…qu’on me dise que je suis « bizarre » et qu’en même temps on pense que je cherche à attirer l’attention que j’invente…
Je ne sais pas qui je suis ?! Pourquoi je pense différemment et pourquoi ce ne sont pas les autres qui sont bizarres ?!
Je me questionne bcp et fais plein de recherches sur tout…sujets variés..
Donc j’ai cherché avec mes symptômes !
Mais j’ai peur jme dis ce n’est pas possible on ne me posera pas ce diagnostic on dira que je suis folle ou dépressive ! Vous aussi vous avez ressenti cela ?
Toutes mes excuses de vous répondre totalement à contre-temps… Oui, j’ai ressenti les mêmes angoisses, le même questionnement, et le même sentiment d’illégitimité. C’est courant d’après tout ce que je peux lire et les discussions avec d’autres personnes diagnostiquées adultes.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
@Miss Liberty,
Je m’apprête à me lancer dans ce qui m’a l’air d’être un long périple … en me demandant de quel droit ? J’ai toujours la sensation que la famine somalienne est plus grave que ma petite personne. Mais quelque chose me pousse … une force vitale …
Comme je l’ai fait pour le HQI, je le fais avec les éléments que je lis sur les femmes asperger : je prends tous les outils que je trouve, les façons de penser, les façons de se percevoir, la question de l’auto-estime, les problématiques communicationnelles, organisationnelles, et je prends, et je prends, et j’applique, et ça marche.
Alors je m’autorise à penser que des professionnels pourraient avoir encore plus d’outils à me proposer …
Merci d’avoir écrit,
Louise
Merci pour votre commentaire, et toutes mes excuses pour cette réponse tardive.
Où en êtes-vous, Louise ?