Je suis à ma place
C’est officiel.
« Selon les scores obtenus aux tests diagnostiques et au vu des éléments recueillis, le diagnostic de trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle est retenu. »
C’est écrit, noir sur blanc, et même en gras, sur le compte-rendu du bilan effectué au centre expert Asperger de Créteil.
Ce papier (enfin, cette liasse de papiers), je l’ai reçu vendredi, après lecture faite par deux des professionnels rencontrés au mois de janvier dans le cadre du bilan.
Je suis venue au rendez-vous avec mon mari et mes enfants, qui ont attendu sagement dans le couloir avec des livres et des coloriages, sous le regard du personnel qui n’en revenait pas de leur calme.
La phrase en question se trouve au début du document, mais on ne me l’a pas livrée d’entrée de jeu. Le médecin a d’abord relu les informations générales me concernant, puis les conclusions établies suite aux entretiens cliniques. Le neuropsychologue a fait le point sur le test de QI et les divers tests neuropsychologiques.
Et puis la phrase est venue, simple et comme évidente après leur lecture des documents.
« Le diagnostic de trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle est retenu. »
Suite à cette annonce, une question, pour savoir comment je ressens cette nouvelle, si cela me « choque », pour reprendre leur terme.
Je réponds que je suis « choquée dans le bon sens » (l’expression suisse « déçu en bien » me tourne dans la tête, c’est un peu ça). Que j’ai effectué un long parcours pour arriver devant eux (oui, ça fait un peu discours des Oscars…), que j’ai beaucoup lu et échangé avec des personnes diagnostiquées ou en cours de diag, et que je pensais bien être sur la bonne route. Mais que de l’entendre de professionnels, c’est bien, que tout est enfin logique, cohérent.
C’est là que l’image du puzzle est pertinente, et non la simple pièce de puzzle qui semble vouloir « représenter » l’autisme, ou l’autiste, et que je ne comprends pas, puisque, à mon sens, une pièce de puzzle n’existe pas de façon isolée, elle est une partie d’un tout, et chaque pièce, une fois à sa place, rend ce tout cohérent et « un ». Le puzzle est enfin complet, l’élément manquant est ajouté, et l’image est entière.
J’avoue que je ne réalise pas encore tout à fait.
A vrai dire, depuis la rencontre avec la pédopsychiatre qui a diagnostiqué notre fils et m’a confirmé que je présentais bien des traits autistiques, j’étais intimement persuadée d’avoir enfin ma réponse, mais il me manquait un petit bout de reconnaissance, le tampon qui venait valider tout ça. Et ce tampon, je l’ai aujourd’hui.
J’ai remercié les personnes qui m’ont accompagnée sur ce chemin, éclairée, encouragée, soutenue, et je suis comme nostalgique de ces moments, cette route a été difficile, longue, pleine de doutes et de douleurs, et d’être au bout, c’est étrange. Comme lorsqu’on arrive enfin au sommet de la montagne, ou à la ligne d’arrivée, quelle qu’elle soit. On sait que c’est « fini », qu’on ne refera jamais ce chemin-là, et c’est une page qui se tourne.
C’est un soulagement, après avoir rencontré beaucoup d’obstacles (un psychiatre qu’il fallait relancer sans cesse, un autre qui ne voyait pas chez moi le moindre trait autistique, les recherches de professionnels formés, le budget et l’organisation que cela représente d’aller chaque fois à Paris, les angoisses liées à la lecture de tous ces diags non aboutis pour des raisons stupides, liées aussi à ma capacité de camouflage, à l’absence d’un parent pouvant attester que mes particularités sont anciennes) de se dire qu’on n’aura plus à se battre pour faire accepter ce fait établi : je suis autiste.
C’est aussi une joie un peu en demi-teinte, une joie qui porte en elle la tristesse de savoir des camarades en souffrance, en attente d’un diag qui ne vient pas, en lutte avec un système qui ne cherche pas à les reconnaître ou à les aider. Tristesse de se sentir « privilégiée » alors qu’on n’obtient finalement que ce à quoi on a un droit légitime, mais qui devient un cadeau précieux dès lors qu’il n’est pas accordé à tous. Je me sens gâtée, j’ai même eu un peu honte au moment de partager cette bonne nouvelle au groupe, je trouvais ça indécent d’une certaine manière pour ceux qui espèrent tellement avoir un jour une véritable réponse…
Ces camarades sont encore en route, certains de façon active, d’autres ont pour l’instant renoncé, faute d’énergie à consacrer à ce combat, mais je souhaite à chacun de ceux qui se posent des questions de pouvoir avoir droit rapidement à des réponses sérieuses, qui leur permettent d’avancer.
La vraie bonne nouvelle, c’est ce que je vais pouvoir faire avec cette première pierre, cette première marche. Ce dans quoi je vais pouvoir m’investir pleinement maintenant que je n’ai plus l’impression d’usurper ma place parmi mes pairs.
Le chemin ne commence pas ici, il se poursuit, mais avec un nouvel équipement (mieux adapté, cela va sans dire, à mes besoins), et vers des contrées nouvelles que j’ai hâte d’explorer.
Même questionnements que toi…
Même ressentis par rapport à un diag qui n’est pas posé (qui ne le sera peut-être jamais) mais qui me travaille depuis plusieurs mois.
Tes mots sonnent justes et sont extrêmement touchants.
Très touchant et très émouvant, vraiment.
Belle vie à toi, Miss Liberty.
Merci beaucoup, Epsi. Où en es-tu de tes démarches ?